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L’art d’être diplomate : persuasion, éloquence, connaissance et – surtout – patience !

Written by Raoul Delcorde, Professeur de science politique, Université de Montréal

Tout le monde s’est réjoui au Canada de la libération des « deux Michael » détenu plus de 1000 jours en Chine dans ce qui s’apparentait bien à une « diplomatie des otages ». Ils ont en effet quitté leur prison quelques heures après que la vice-présidente de Huawei, Meng Wanzhou, ait pris un vol de Vancouver à destination de la Chine, à la suite d’une entente conclue avec le Département de la Justice aux États-Unis qui a suspendu les poursuites.

Or, on a peu parlé de ceux et celles qui étaient en poste à l’ambassade du Canada à Pékin et à Washington. Ils ont aussi été au cœur des négociations sur la libération de Michael Kovrig et de Michael Spavor.

Ceux à Pékin ont dû décrypter ce que l’on appelle parfois la « diplomatie du loup-guerrier » de la Chine. L’expression s’inspire de deux films chinois sur un Rambo local surnommé le « Wolf Warrior ». Les médias en Chine l’utilisent pour décrire une rhétorique résolument offensive, promouvant avec force ses intérêts nationaux.

Puis, ces diplomates ont dû développer une véritable stratégie de négociation, de concert avec leurs collègues canadiens à Washington, qui étaient également à la manœuvre pour débloquer cette affaire compliquée.

Apprendre à négocier est essentiel pour exercer le métier de diplomate. Comme je l’ai déjà écrit dans la publication scientifique Revue Défense Nationale, l’Oxford English Dictionary explique que la diplomatie est « la gestion des relations internationales par la négociation ». Henry Kissinger écrira que « dans son acception classique, la diplomatie consiste à rapprocher des points de vue divergents par le biais de la négociation ».

Je parle d’expérience, venant de conclure une carrière diplomatique de 35 années au service de la Belgique, avec des postes d’ambassadeur, dont le plus récent était à Ottawa de 2014 à 2018. Invité à donner un cours sur la diplomatie aux étudiants en science politique de l’Université de Montréal, je peux leur offrir une grille originale de l’interprétation de la réalité internationale, qui est celle qu’offre la diplomatie occidentale.

Un écran vidéo affiche des images des Canadiens Michael Kovrig, à gauche, et Michael Spavor lors d’un événement organisé dans le cadre de l’annonce de la sentence de Spavor à l’ambassade du Canada à Beijing, le 11 août 2021. Un tribunal chinois a alors condamné Spavor à 11 ans de prison pour espionnage.
(AP Photo/Mark Schiefelbein)

Persuader et surtout, bien connaître

Parmi les qualités de diplomate, on citera la capacité de persuasion, c’est-à-dire la capacité de convaincre l’interlocuteur du bien-fondé de la position que l’on défend. Mais pour persuader, il faut bien connaître la personne à laquelle on s’adresse, son environnement politique et culturel, sa marge de manœuvre. Connaître sa langue est un atout. Il apparaît alors que la diplomatie est un ensemble de connaissances combiné à un savoir-faire spécifique.

On ne cesse d’apprendre, lorsqu’on est diplomate. Il faut commencer par connaître les intérêts spécifiques du pays que l’on représente. Cela paraît évident, mais requiert une mise à jour permanente, car les intérêts d’un État évoluent avec le temps. Ensuite, le diplomate doit avoir une bonne connaissance du pays dans lequel il va travailler, son Histoire, son environnement naturel et sa vie politique.

Aller à Budapest sans comprendre le traumatisme provoqué par le Traité du Trianon qui a amputé la Hongrie des deux tiers de son territoire serait une erreur. La psyché hongroise est marquée par cet événement et par le souci de « protéger » les minorités hongroises dans les pays voisins. Il n’y a pas que l’Histoire. Il faut aussi connaître le fonctionnement politique du pays où l’on se trouve : dans des États comme l’Iran ou la Chine, où se superposent différentes strates de pouvoir, avec des jeux d’influence très complexes, il faut une bonne culture politique avant d’entamer un contact.

Michael Kovrig à son arrivée au Canada, le 25 septembre 2021, en compagnie de sa femme Vina Nadjibulla et de sa sœur Ariana Botha. Il a été détenu pendant près de trois ans en Chine.
La Presse canadienne/Frank Gunn

Ce métier exige aussi d’aimer se plonger dans les dossiers, que ce soient un différend commercial, un contentieux relatif à un visa, un problème de rapt parental ou encore l’organisation d’une visite officielle. Cette connaissance est axée sur une finalité bien précise, qui est de régler le différend, de défendre l’intérêt de son pays ou d’un compatriote injustement lésé. Ce qui exige de déchiffrer les intentions et manœuvres de la partie adverse.

Savoir s’exprimer… et gérer le temps

Apprendre le métier de diplomate nécessite aussi de maîtriser l’expression orale. Comme le notait fort justement l’ex-ministre des Affaires étrangères français Dominique de Villepin, « la diplomatie est performative : ses paroles sont des actes. Les mots ont des conséquences juridiques et politiques majeures ». Il s’agit de faire passer un message. Et d’éviter surtout le malentendu.

Inculquer les règles de diplomatie c’est aussi apprendre à gérer le temps. Il y a des négociations qui durent des mois, voire des années, avec une alternance de blocages et d’avancées. Et dans le cas des deux Michael, il a fallu également gérer le temps de leur détention et les soutenir. De même, la négociation avec l’Iran au sujet de son programme nucléaire a duré plusieurs années, avec une alternance de blocages et d’avancées.

La diplomatie à l’œuvre : le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Mariano Grossi en compagnie du ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amirabdollahian, à Téhéran le 23 novembre 2021. L’Agence négocie un meilleur accès à la République islamique avant la reprise des pourparlers diplomatiques sur l’accord nucléaire conclu entre Téhéran et les puissances mondiales.
(AP Photo/Vahid Salemi)

« Négocier en Iran, c’est négocier dans le temps », écrit la consultante et écrivaine française Élodie Bernard, qui a vécu plusieurs années en Iran. Les techniques de négociation des diplomates iraniens reflètent leur capacité à ne jamais dire « non » et à contourner l’obstacle plutôt qu’à l’affronter ; cela remonte à l’époque où les Perses ont su manœuvrer habilement face à l’invasion arabe et à préserver l’État iranien, alors que les civilisations voisines (Égypte, Mésopotamie) ont été arabisées. Le temps peut être un allié du négociateur.

Savoir se mettre à la place de l’autre

Enfin, apprendre à négocier c’est apprendre à connaître l’autre, le respecter aussi. L’ambassadeur Gérard Araud (ancien ambassadeur de France à l’ONU et à Washington et essayiste de talent) soulignait qu’« être diplomate, c’est se mettre à la place de votre interlocuteur. Cela n’est pas donné d’emblée ».

Une diplomatie fiable est, à long terme, préférable aux subtilités florentines (c’est-à-dire aux manœuvres de couloir et à la ruse chères aux Princes de Florence et à Machiavel), où tous les coups sont permis. Les intérêts sont beaucoup trop imbriqués pour que l’on se permette de faire prévaloir son point de vue au moyen de « coups » : on aurait tôt fait de se retrouver affaibli dans le cadre d’une autre négociation.

On ne gagne pas en réduisant la partie adverse au silence. Le diplomate peut être habile, mais son point de vue ne prévaudra que s’il est solidement étayé et argumenté. Élaborer un accord de désarmement ou négocier un accord commercial repose, avant tout, sur un équilibre entre les positions des uns et des autres, et non sur des subterfuges qui feraient vite long feu.

En dépit d’un monde changeant dans lequel elle s’inscrit, la diplomatie contient sa part de sciences, non pas au singulier, mais bien au pluriel. Il est indispensable pour le diplomate aujourd’hui de convoquer tout à la fois l’histoire, la sociologie, le droit, la démographie, l’économie, la psychologie ou la théorie des jeux…

Une des grandes figures de la diplomatie canadienne des années 1960, l’ambassadeur Marcel Cadieux, a rédigé un ouvrage pour les jeunes diplomates canadiens. Il y décrit les qualités physiques et mentales, morales aussi, requises pour l’exercice de la fonction diplomatique. « Il faut aimer les autres êtres, leur vouloir du bien, s’intéresser à eux pour bien faire son travail et réussir comme diplomate », écrit-il. L’ambassadeur canadien touche un élément essentiel du métier : il y a un idéal dans cette profession, qui est d’empêcher l’irruption des conflits (militaires, certes, mais aussi commerciaux) et de tenter de les résorber le plus rapidement possible.

Comme l’exemple des « deux Michael » l’a prouvé, la patience (qualité essentielle du diplomate) a payé. Alors on peut dire sans hésiter que la diplomatie, à l’ère de la mondialisation, est plus utile que jamais. Son apprentissage n’en est que plus important.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

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