Shopping Cart

Fermer

Votre panier est vide.

Filtre

fermer

Search results for

Votre question en une phrase
An account for you will be created and a confirmation link will be sent to you with the password.
Question et réponse est motorisé par anspress.net

Written by Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de Lorraine

Il y a maintenant plus d’un an et demi, l’entrée en fonctions de l’administration Biden a soulevé l’espoir d’un rétablissement du Plan d’action global conjoint, aussi appelé accord de Vienne sur le nucléaire iranien (Joint Compréhensive Program of Action ou « JCPOA », conclu le 14 juillet 2015), dont Donald Trump avait unilatéralement fait sortir les États-Unis en 2018.

Cet accord avait pour objectif de contrôler le programme nucléaire iranien en échange de la levée progressive des sanctions économiques contre Téhéran.

Mais en dépit des discours répétés de bonne volonté de plusieurs membres de l’administration américaine favorables aux négociations et qui appelaient de leurs vœux une avancée sur ce dossier, la dynamique diplomatique a aujourd’hui du plomb dans l’aile. En effet, l’exacerbation du conflit en Ukraine est devenue le principal facteur de blocage à toute évolution vers un accord qui pourtant semblait urgent il y a encore quelques mois.

Un accord urgent pour les puissances occidentales

Dès l’ouverture des pourparlers sur la relance de l’accord de Vienne, en février 2021, les négociateurs américains avaient insisté pour incorporer dans les discussions le volet balistiquen autrement dit la fin de la production par Téhéran de missiles balistiques de longue portée à haute précision, et la remise en cause du rôle régional « déstabilisateur » de l’Iran.

De son côté, l’Iran a fait montre de fermeté en rejetant toute négociation qui sortirait du strict cadre nucléaire et a toujours exigé, en contrepartie de son acceptation, la levée des sanctions dont il fait l’objet et l’obtention de garanties sur la pérennité de l’accord, afin de s’assurer que celui-ci survivrait aux aléas d’un changement d’administration aux États-Unis.

Les négociations conduites depuis maintenant un an et demi interviennent entre l’Iran d’un côté, et les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie, la Chine et l’Allemagne de l’autre, et sont coordonnées par l’Union européenne.

Le refus de l’Iran de parler directement aux Américains conduit les Européens, participants de plein droit, à assumer également un rôle de médiateur. Dans le cadre de ces discussions, il est demandé à Téhéran de respecter les engagements de l’accord de Vienne, qui impose un régime de surveillance renforcé de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA) et des limitations qualitatives et quantitatives temporaires de certaines des activités nucléaires de l’Iran – à l’exemple de la limitation de l’enrichissement de l’uranium entre 3 et 5 % et à un usage strictement civil – en échange de la levée progressive des sanctions économiques.

Le facteur temps et la crainte que l’Iran ne devienne une « puissance du seuil » ont rendu urgente la conclusion d’un accord pour les puissances occidentales. En effet, avec le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne en 2018 et la mise en œuvre d’une politique de pression maximale à l’endroit de l’Iran, Téhéran a repris ses activités d’enrichissement dans des quantités très supérieures à celles agrées par l’accord sur le nucléaire de 2015.

Dans un rapport publié le 7 septembre dernier, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui accuse depuis plusieurs mois l’Iran d’entraver sa mission de vérification et de contrôle du respect des engagements en matière nucléaire, révèle que le stock iranien d’uranium enrichi est passé de 43 kg en mai à 55,6 kg le 21 août et qu’il est désormais proche du seuil nécessaire à la fabrication de l’arme atomique.

L’unité des Occidentaux

Face aux violations imputées à l’Iran par l’AIEA – qui a notamment adopté, en juin dernier, une résolution blâmant Téhéran -, l’Iran a réaffirmé, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amirabollahian, dans une interview accordée à Al-Monitor le 25 septembre dernier, que les allégations de l’Agence sont « sans fondement » et que cette dernière « doit se comporter et agir techniquement » et non politiquement. Mais les Américains et les Européens, dans une parfaite unité, accusent l’Iran d’être le principal responsable de l’impasse dans laquelle se trouvent aujourd’hui les négociations et n’espèrent plus un dénouement positif imminent.

Après le rejet par l’Iran de la mouture finale du projet d’accord présenté en août 2022 par le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, au motif que ce texte ne contenait pas de garanties économiques suffisantes en cas de nouveau retrait unilatéral des États-Unis, plusieurs déclarations ont constaté une situation de blocage. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a ainsi affirmé le 12 septembre que compte tenu des exigences de l’Iran, un accord était « improbable » à court terme, pointant l’incapacité de Téhéran « à faire ce qui est nécessaire pour parvenir à un accord ».

De leur coté, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont amplement repris les critiques émises par les Américains et conclu dans une déclaration commune publiée le 10 septembre que l’Iran a décidé « de ne pas saisir cette opportunité diplomatique décisive » et « poursuit l’escalade de son programme nucléaire ».

Ainsi, si formellement les négociations continuent d’achopper sur des questions techniques, force est de constater que la perception occidentale de l’urgence de parvenir à un accord avec l’Iran se trouve sensiblement modifiée. Les nouveaux calculs stratégiques dictés par une analyse du caractère inéluctable de la défaite russe en Ukraine confortent désormais une approche de fermeté vis-à-vis de l’Iran.

L’horizon d’une défaite russe

Il apparaît clairement que l’inquiétude décliniste – actant la fin de l’hégémonie américaine sur le monde qui irriguait la majorité des analyses s’est dissipée.

La guerre en Ukraine est désormais perçue comme une opportunité historique et stratégique de rétablir l’unité du camp occidental et de préserver sa position hégémonique. Dans ce nouveau contexte géopolitique, les États-Unis et leurs alliés européens ont engagé un nouveau pari consistant à penser que la confrontation est entrée dans une phase décisive. Comme le rappelle un article récent de The National News :

« [Les] dirigeants américains et européens ont pris leur décision dans l’équation “victoire ou défaite” et ne permettront pas à la Russie de s’emparer de l’Ukraine, quel qu’en soit le coût. Cela signifie que ce qui semblait impossible il y a un mois ou deux est désormais plausible, à savoir une intervention occidentale directe dans la guerre, dans le cas où la Russie déploierait des armes nucléaires tactiques. »

Les puissances occidentales misent sur une défaite russe sur le terrain ukrainien qui aurait des conséquences géostratégiques majeures à l’échelle globale. Au cours d’un entretien avec le journaliste Jeffrey Goldberg, Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, affirme que la guerre en Ukraine est aussi une démonstration de « notre force, notre résilience, notre endurance », et « aura un impact certain sur notre capacité à dissuader efficacement les autres ailleurs ».

L’objectif serait à la fois de limiter les ambitions de puissance de la Chine et d’affaiblir la position négociatrice de l’Iran, resté allié à la Russie depuis le début de la guerre. Ce calcul qui pousse à une inflexibilité des positions sur le dossier du nucléaire se nourrit également de la représentation occidentale que le régime iranien, en proie à une importante contestation interne, serait de plus en plus fragilisé et idéologiquement isolé. En réaction à la répression en Iran, l’UE a d’ores et déjà adopté des sanctions et envisage de renforcer ces mesures coercitives en pointant la responsabilité de Téhéran dans la vente de drones à la Russie pour appuyer la campagne militaire de celle-ci en Ukraine.

Un pari risqué

Toutefois, il serait opportun de s’interroger sur la pertinence de cette grille de lecture dominante. D’un côté, elle semble relever davantage du wishful thinking que d’une lecture réaliste de la situation. Comme le souligne avec pertinence un éditorial de The Guardian paru le 25 septembre dernier :

« Notre excitation devant les images émouvantes des manifestations nous conduit non seulement à exagérer l’ampleur et la profondeur du mouvement de protestation […] mais aussi à sous-estimer la force de leurs ennemis. Ceux qui s’opposent à ceux qui manifestent actuellement en Iran restent en effet très redoutables. »

D’un autre côté, il est difficile de ne pas souscrire aux conclusions du politiste américain Robert Kaplan qui ont le mérite de la clarté. Dans un commentaire récent, il rappelle que si les régimes russe et iranien ne sont actuellement pas menacés, l’hypothèse de leur effondrement renferme un « danger géopolitique ». En effet,

« il n’existe pas d’alternatives claires et institutionnellement viables pour les remplacer […]. Après tout, nous ne parlons pas seulement de deux pays. La Russie est une superpuissance dotée de l’arme nucléaire, l’Iran est un pays essentiel du Moyen-Orient et d’Asie centrale sur le point de devenir une puissance nucléaire. »

La configuration actuelle augure mal de la possibilité d’un compromis sur le dossier nucléaire, mais si l’opportunité historique de conclure un deal est aujourd’hui manquée, l’Iran pourrait prochainement se hisser au rang des puissances nucléaires.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Written by Michel Raspaud, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes (UGA)

Régime « rentier, oligarchique et clientéliste »), le Qatar a, comme l’explique le chercheur Danyel Reiche, mis en place une politique de soft power par le sport. Celle-ci, initiée à partir de 1995 après la prise de pouvoir du cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, a été renforcée en 2008 par la Qatar National Vision 2030, un programme ayant pour objectif à la fois de renforcer la sécurité nationale et de garantir le maintien au pouvoir de la famille régnante.

C’est dans ce cadre que, du 20 novembre au 18 décembre (jour de fête nationale), le Qatar accueillera la 22e Coupe du monde FIFA. De vives polémiques ont agité les années séparant l’attribution de la compétition (2010) – controversée et entachée de soupçons de corruption – de son organisation. Ces polémiques portent notamment sur le coût des travaux estimé à 200 milliards de dollars ; sur l’empreinte écologique de l’événement, bien que ce sera le Mondial géographiquement le plus ramassé depuis le tout premier, organisé en 1930 à Montevideo ; sur les conditions de travail sur les chantiers, quasi esclavagistes et le nombre de décès d’ouvriers, pointés en particulier par une enquête du Guardian… Liste non exhaustive.

Toutes ces questions sont tout à fait pertinentes mais, à l’approche du Mondial, d’autres interrogations importantes émergent, ayant trait à l’accueil des supporters, ainsi qu’à la sécurité globale.

Un afflux de touristes inédit

Le Qatar accueillera durant la Coupe du Monde près de 1,5 million de touristes, pour une population totale de 2,9 millions de personnes (dont 90 % d’immigrés, parmi lesquels Gianni Infantino, le président de la FIFA, qui s’y est récemment installé !), sur un territoire équivalent à la région Île-de-France.

Ce Mondial est un important enjeu touristique pour un pays qui accueillait près de 3 millions de touristes par an au milieu des années 2010 (avant le blocus de 2017 et la crise du Covid) Ces supporters se concentreront sur un périmètre très réduit : sept des huit stades se trouvent à Doha ou dans un rayon de 20 km (à Al-Rayyan et Al-Wakrah), et seulement 75 km séparent le stade le plus au Nord (à Al-Khor) de celui le plus au Sud (à Al-Wakrah).

La première partie de la compétition (du 21 novembre au 2 décembre) sera très sensible puisque la phase de poules verra se jouer 48 rencontres, soit quatre par jour, impliquant des déplacements massifs et incessants de huit cohortes de supporters, au contraire des Coupes précédentes où seuls deux équipes et leurs fans se trouvaient simultanément dans une même ville.

La gestion des flux des foules sera donc un gros enjeu. Helmut Spahn, le directeur de la sécurité de la FIFA, estime que 350 000 supporters seront réunis en même temps à Doha, mais se montre toutefois confiant :

« Il faut gérer ça. Mais nous pouvons faire l’histoire et je suis presque sûr que nous y arriverons. »

Alors qu’il se trouvera pendant cinq semaines sous les yeux des médias du monde, le Qatar ne peut se permettre le moindre faux pas en matière de sécurité. De ce point de vue, il y a deux enjeux majeurs : la sécurité dans l’espace public et dans les stades ; et la lutte contre le terrorisme.

Sécurité dans l’espace public

Comment contrôler durant plusieurs semaines ces foules qui, à la différence des très nombreux travailleurs immigrés se trouvant en permanence dans le pays, disposeront de liquidités financières conséquentes puisque les prix du transport aérien et des hôtels sont très élevés, et de beaucoup de temps libre ?

Supporters du Costa Rica à Doha venus pour le match de barrage opposant leur pays à la Nouvelle-Zélande, le 16 juin 2022.
Mustafa Abumunes/AFP

Certains éléments de réponse à cette question ont fait l’objet de nombreuses prises de parole, informations et, aussi, fake news. Ainsi du comportement individuel et collectif dans l’espace public : il est vrai que les traditions vestimentaires locales exigent la couverture du corps, même si une certaine tolérance est accordée aux touristes, et les démonstrations d’affection en public heurtent les valeurs culturelles locales et sont proscrites ; quant à la consommation d’alcool et l’ébriété sur la voie publique, elles sont punies par la loi. Toutefois, il est possible de se procurer de l’alcool dans certains restaurants et hôtels internationaux, et la FIFA a annoncé qu’il sera possible de se procurer de la bière du principal sponsor dans les fan zones trois heures avant et une heure après les matches.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Il y a peu, une information s’est répandue suite à un article du tabloïd Daily Star, selon lequel les relations sexuelles hors mariage seraient totalement interdites. Elles le sont effectivement, mais dans la réalité bien peu d’hôtels se préoccupent de la question en demandant un certificat de mariage aux couples, car le personnel est quasi exclusivement étranger.

En revanche, il est vrai que l’homosexualité n’est pas tolérée au Qatar. Elle tombe sous le coup de la loi et les personnes reconnues coupables sont passibles de sept ans de prison.

La FIFA assure toutefois qu’elle s’engage avec le Qatar à « garantir la sécurité et l’accueil chaleureux de tous les participants à la Coupe du Monde de la Fifa. Cela implique de veiller à ce que les activités des forces de l’ordre liées à la Coupe du Monde de la Fifa soient strictement nécessaires et proportionnées. Comme cela a été le cas lors de plusieurs événements internationaux que le Qatar a accueillis, la vie privée des personnes sera respectée. »

Toutefois, les autorités qataries ne s’y sont pas formellement engagées, et des démonstrations ostensibles heurteraient les nationaux au point de troubler l’ordre public.

Coopération sécuritaire internationale

Si la conférence « Le dernier mile de la Coupe du Monde Qatar FIFA-2022 » s’est tenue en mai à Doha, en présence de responsables de la sécurité représentant chacun des 32 qualifiés, le Qatar développe de longue date des coopérations pour relever certains défis tels que la gestion de la menace terroriste, le hooliganisme, les mouvements de foule, les cyberattaques, ainsi que certaines problématiques que les autorités locales ont peu l’habitude de gérer : contrefaçon, consommation d’alcool, actions d’organisations contestataires…

Contrairement aux autres pays arabes du Golfe, le Qatar est en bons termes avec l’Iran, avec qui il partage le North Dome, plus grand gisement de gaz au monde, Téhéran étant même venu à son secours alimentaire lors du blocus de 2017, il est a priori peu probable qu’une attaque vienne d’ici, d’autant plus que l’équipe nationale participe au Mondial. Cependant, du fait que le Qatar a joué les médiateurs lors de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, une éventuelle menace djihadiste pourrait venir de groupes basés dans ce pays tels que l’Organisation de l’État Islamique-Khorasan, redevenue plus active depuis le départ des Américains et qui a récemment perpétré des attentats à Kaboul et Herat et s’oppose au pouvoir taliban.

Toutefois, aucune menace n’a été proférée. Enfin, last but not least, un rapport commandé en 2010 par le Français Jérôme Vlacke, alors Secrétaire général de la FIFA, notait que la proximité du Qatar avec des pays ayant une présence d’Al-Qaida et son projet d’entasser des millions de fans et les joueurs dans une zone très centralisée en faisait un lieu à haut risque…

Sur ce point, la coopération avec la France (initiée dès les Jeux asiatiques de Doha en 2006) se concrétise en 2019 lors d’une visite au Qatar du premier ministre français de l’époque, Édouard Philippe, puis par un accord signé à Doha le 21 mars 2021. Le Qatar est alors qualifié de « partenaire stratégique pour la France ». Un projet de loi au Sénat en résulte, portant sur les aspects suivants : planification, contre-terrorisme, gestion de l’ordre public, renseignement, sécurité des installations sportives, sécurité des mobilités, moyens spéciaux terrestres, moyens aériens, cybersécurité, sécurité civile.

Des missions d’assistance et de formation seront réalisées auprès des forces intérieures locales (échange d’informations, envoi d’experts et de spécialistes, entraînements en commun). Sont prévus aussi le déploiement de gendarmes, policiers et sapeurs-pompiers, et la mise à disposition de matériels, équipements, véhicules et engins.

Autre coopération, avec la Turquie, qui a formé 677 membres du personnel de sécurité qataris dans 38 domaines, et déploiera 3 000 policiers anti-émeute, 100 membres des forces spéciales, 50 chiens de détection de bombes et leurs opérateurs, et 50 experts en bombes.

De son côté, le Maroc enverra une équipe d’experts en cybersécurité pendant l’événement, ainsi que plusieurs milliers d’agents pour gérer les foules et éviter les débordements.

Par ailleurs, la Royal Air Force et la Royal Navy britanniques fourniront la police antiterroriste, et les États alliés que sont le Royaume-Uni et le Qatar uniront leurs forces au sein d’un Joint Typhoon Squadron pour assurer la police de l’air dans le ciel. De leur côté, les États-Unis (qui disposent, à Al-Udeid, de leur plus grande base militaire au Moyen-Orient), participeront à la formation des agents dans les aéroports et à la cybersécurité.

Enfin, l’OTAN apportera son soutien sécuritaire par une formation contre les menaces posées par les matières chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN), par une seconde concernant la protection des personnes importantes (VIP), et une troisième pour contrer les menaces posées par les engins explosifs improvisés.




Read more:
PSG–Manchester City : si loin du Golfe, si proche du Golfe


La sécurité est aussi un enjeu de communication

Le Qatar précise que, pendant le tournoi, un centre de coopération policière internationale sera présent afin de prévenir tout incident. Aussi, le directeur de la sécurité de la FIFA estime-t-il que le risque terroriste est « faible et sous contrôle » comparé aux Coupes du monde précédentes :

« Nous avons eu des menaces d’attaque terroriste avant un Mondial, des grèves dans la sécurité privée et la police, parfois des problèmes d’infrastructures dans des stades qui n’étaient pas prêts. Ça n’est pas le cas ici. »

L’accueil du Mondial 2022 est un enjeu d’image considérable pour le Qatar, d’où ces coopérations sécuritaires internationales. D’où, aussi, ces discours de tolérance dont on ne sait s’ils se concrétiseront positivement durant l’événement.

Les vives critiques subies depuis des années en ce qui concerne le non-respect des droits humains et des travailleurs ainsi que l’intolérance des mœurs mettent en évidence la face noire du pays. Tout incident relevant de ces questions pourrait brouiller le message que le Qatar destine au monde concernant la qualité de l’accueil et la tolérance, composants essentiels d’une stratégie d’attractivité touristique.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

You need to log in to send your application.

Written by Lama Fakih, Docteure en histoire contemporaine et relations internationales, chargée de cours sur l’histoire et l’actualité du Moyen-Orient contemporain, ainsi que sur les puissances et énergies dans le Golfe arabo-persique, University of Saint Joseph

Comment un État «jeune» — il n’est indépendant que depuis 1971 – et dénué de tout attribut classique de la puissance est-il devenu en l’espace de quelques années un acteur international de premier plan, sur lequel les projecteurs du monde entier sont braqués au moment où il s’apprête à accueillir la Coupe du Monde de football ?

Pour comprendre la trajectoire spectaculaire du Qatar, il convient d’examiner les stratégies de politique étrangère qu’il a employées, principalement l’alliance avec les grandes puissances, la pratique du « hedging » (une approche consistant à maintenir de bonnes relations avec tous les acteurs de la communauté internationale, ignorant les divergences que certains peuvent avoir entre eux), et la « diplomatie de niches ».

Si cette politique étrangère avait avant tout pour objectif de sécuriser la souveraineté de l’émirat, elle a été rapidement mise au service d’une quête démesurée de puissance, favorisée par un affaiblissement du leadership traditionnel dans le monde arabe.

Le Qatar est donc progressivement arrivé à se hisser au-devant de la scène régionale, non sans susciter des critiques, y compris de la part de ses voisins.

25 premières années d’existence dans l’ombre de Riyad

Protectorat britannique de 1916 à 1968, le Qatar – petit émirat de la péninsule arabique d’une superficie de 11 571 km2 (environ celle de l’Île de France, pour donner un ordre de comparaison) et peuplé de quelque 2,5 millions de personnes aujourd’hui, dont à peine 10 % de Qataris, les autres résidents étant des travailleurs étrangers – n’a qu’une seule frontière terrestre, qui plus est controversée : avec l’immense Arabie saoudite, près de deux cents fois plus étendue.

Le Qatar est en quelque sorte coincé entre les deux géants que sont l’Arabie saoudite et l’Iran.
Peter Hermes Furian/Shutterstock

Après son indépendance en 1971, le pays évolue durant près de 25 ans dans l’ombre de Riyad.

À cette époque, plusieurs facteurs constituent de véritables menaces pour son existence. D’abord, une situation géopolitique délicate, aggravée par des litiges frontaliers avec le Bahreïn et l’Arabie saoudite.

Ensuite, ses ressources naturelles, certes abondantes, se révèlent aussi être un danger, car pouvant exciter les appétits de ses voisins, notamment de l’Iran. Le Qatar partage en effet avec ce dernier la plus importante poche gazière au monde, le North Dome/South Pars, qui s’étend sur 9 700 km2, dont 6 000 km2 dans les eaux qataries.

Pour éviter les tensions, Doha s’efforce de conserver de bonnes relations avec Téhéran, ignorant certaines déclarations menaçantes ou lui signalant discrètement certaines infiltrations de ses foreurs dans ses eaux. À mesure que le gisement est mis en valeur, il apparaît comme étant la condition du développement du Qatar, augmentant paradoxalement sa vulnérabilité. Tout antagonisme majeur avec l’Iran serait destructeur pour son économie, dont 90 % des revenus proviennent des hydrocarbures. Le gouvernement s’endette auprès de banques internationales et d’États avec qui il a signé des contrats pour financer les installations nécessaires à la liquéfaction et à l’acheminement du gaz. L’émirat est alors loin de détenir les largesses financières dont il dispose aujourd’hui.

Son armée est modeste, le petit pays préférant adopter une politique de suivisme vis-à-vis de l’Arabie saoudite. En outre, dans les premières années de son existence, il est très peu peuplé (500 000 habitants en 1995).

De 1972 a 1995, le Qatar est gouverné par Khalifa Ben Hamad Al Thani. Comme il est coutume dans ce pays, celui-ci accède au trône en destituant son prédécesseur, Ahmad bin Ali Al Thani, qui fut l’éphémère premier souverain de l’émirat indépendant. Il centralise le pouvoir, place ses proches à des postes clés, mène certes des politiques sociales, mais dilapide les revenus de la rente. Ainsi en 1991, 54 notables lui adressent une pétition réclamant des réformes, notamment législatives. Il délègue de nombreuses affaires à son fils Hamad, qu’il a nommé prince héritier au début de son règne. Ce dernier ne manquera d’ailleurs pas de le renverser en 1995. Il s’attellera par la suite à sécuriser son propre règne en fondant des institutions de gouvernement, en adoptant une Constitution et en codifiant les règles de succession, avant de passer la main en 2013 à son fils Tamim ben Hamad Al Thani, toujours à la tête du pays aujourd’hui.

Les années 1990 et l’alliance avec Washington

La première guerre du Golfe, en 1990-1991, constitue un tournant historique pour les pays du Golfe. Elle aura en particulier un impact majeur sur la relation entre Doha et Washington. Avec l’invasion du Koweït par l’Irak, le Qatar prend conscience de sa propre vulnérabilité et de la facilité avec laquelle l’un de ses puissants voisins pourrait l’annexer. Il considère le parapluie sécuritaire américain comme seule véritable garantie de survie.

L’émirat se rapproche donc des États-Unis et se voit offrir une protection totale sous plusieurs conditions. Par exemple, mettre en place un accord de coopération de défense permettant de pré-positionner sur son sol des troupes et du matériel militaire. Ou encore accorder une place prépondérante aux compagnies américaines pour l’exploitation du gaz.

L’émir du Qatar, Hamad Bin Khalifa al-Thani, s’entretient avec le président américain George W. Bush le 4 octobre 2001 dans le bureau ovale de la Maison Blanche à Washington, DC., trois semaines après les attentats du 11 Septembre. La base militaire américaine d’Al-Udeid, au Qatar, sera largement utilisée lors de l’opération « Enduring Freedom » contre les talibans afghans.
Manny Ceneta/AFP

Le pays émerge progressivement comme allié régional privilégié des Américains – surtout après la révolution de palais de 1995, à laquelle Washington a sans doute donné son assentiment. Il concurrence ainsi directement l’Arabie saoudite, avec qui les relations tendues vont jusqu’à la rupture diplomatique entre 2002 et 2008. Il sera de nouveau isolé par ses voisins entre 2017 et 2019. En effet, ces derniers lui reprochent une forte implication dans les « Printemps Arabes », notamment via sa chaine Al Jazeera, son soutien aux Frères Musulmans perçus comme facteurs de déstabilisation des pouvoirs en place, et sa complaisance vis-à-vis de l’Iran.

Si Hamad Ben Khalifa Al Thani cherche avant tout à assurer la souveraineté de son pays en s’appuyant fermement sur les États-Unis, il n’entend pas tout miser sur cette alliance : le Qatar multiplie les partenariats, au point de s’affirmer assez rapidement comme un acteur incontournable du concert des nations. En effet, Doha opte pour une politique de «hedging», qui consiste à entretenir de bonnes relations avec des acteurs opposés pour réduire des risques éventuels sur le long terme.

Le « hedging » et la « diplomatie de niches »

Emprunté au lexique de la finance, ce terme désigne, en relations internationales, un schéma comportemental spécifique, différent des attitudes extrêmes que sont l’alignement et l’endiguement.

Le hedging invite à l’adoption d’une position équilibrée visant à conserver de bons rapports avec tous les États, surtout les plus puissants. Cette approche permet aux «petits» de gagner de l’influence pour promouvoir leur autonomie politique. Entre autres exemples, mentionnons que l’émirat accueille accueille un bureau de commerce israélien depuis 1996 tout en soutenant le Hezbollah libanais qui combat Tel-Aviv. De même,il accueille sur son sol l’USCENTCOM, une base militaire américaine colossale… tout en hébergeant, ou en ayant hébergé, des Frères musulmans et des représentants des talibans. Ceci vaut d’ailleurs au Qatar des accusations de soutien au terrorisme, déjà proférées depuis les apparitions exclusives de Ben Laden sur la chaine d’information qatarie en continu Al Jazeera au lendemain de l’invasion de l’Afghanistan en 2001. L’émirat avait en effet réussi à se forger une image de pays défenseur de tous les musulmans, quelles que soient leurs divergences, tout en étant ouvert à l’Occident. Il fait donc de l’Islam un outil politique lui permettant d’intervenir sur plusieurs scènes depuis l’Indonésie en passant par le Soudan, jusqu’aux banlieues françaises.

Le vice-ministre qatari des Affaires étrangères Ali bin Fahd al-Hajri à droite et le porte-parole des talibans Mohammed Naim (centre) s’expriment lors d’une conférence de presse conjointe lors de la cérémonie d’ouverture du nouveau bureau politique des Talibans à Doha le 18 juin 2013.
Faisal Al-Tamimi/AFP

Enfin, le Qatar élabore une diplomatie de niches, stratégie privilégiée des petits États et des puissances moyennes. Celle-ci se concentre sur des champs d’action bien déterminés, en y apportant toutes ses ressources pour obtenir autant de rendements, ainsi qu’une une large reconnaissance internationale.

Grâce à la diplomatie de niches, Doha se forge une image de marque nationale et une visibilité à l’échelle internationale. Le Qatar cherche à se doter d’une réputation d’État neutre, ami de tous, «bon citoyen international», moderne, ouvert à l’Occident tout en restant fidèle à son identité arabo-musulmane.

Troisième détenteur de ressources gazières au monde et premier exportateur de gaz naturel liquéfie, l’émirat dispose désormais de l’un des PIB les plus élevés au monde. À titre indicatif, il passe de 8,1 milliars de dollars en 1995 a 44,5 millards en 2005 pour dépasser les 100 milliards a partir de 2010. Cela est surtout possible grâce a son fonds d’investissement souverain fondé en 2005, Qatar Investment Authority (QIA).

Il investit massivement à l’étranger, notamment dans les grandes capitales. La crise financière de 2008 constitue ainsi une opportunité de se rendre indispensable, consolidant de surcroît ses alliances.

L’éducation (avec la Qatar Foundation), le sport (avec l’achat du Paris Saint-Germain, la diffusion de nombreux événements via la chaîne Bein Sports et bien sûr la prochaine Coupe du Monde), la culture (avec les nombreux musées prestigieux, les expositions des plus grands artistes ou l’achat de toiles de maître), les médiations (au Liban, au Darfour ou plus récemment entre les États-Unis et les talibans), et aussi la chaîne d’informations Al Jazeera, sont autant de niches qu’il exploite pour s’affirmer. Cette dernière, est plus explicitement qualifiée par un câble Wikileaks « d’outil diplomatique » servant les intérêts de Doha.

Accusations de corruption et critiques

Ainsi, les revers de l’activisme qatari, qui plus est surmédiatisé, ne manquent pas. Le Qatar est souvent accusé de prendre part à des affaires de corruption. On l’a vu, notamment avec son attribution de la Coupe du Monde qui fait actuellement l’objet de nombreux appels au boycott.

Les critiques portant sur le traitement des travailleurs étrangers ayant construit ses stades, le coût environnemental, ainsi que l’organisation même de la compétition en novembre et les restrictions imposées aux supporters étrangers qui viendront sur place sont autant d’arguments qu’avancent ses détracteurs.

L’accueil de cette compétition semble en soi régi par une forme de hedging. Le puissant leadership qatari qui en obtient l’organisation doit concilier son choix de s’ouvrir à l’étranger avec une société très conservatrice, où la simple mixité entre les hommes et femmes ne va pas de soi et où la religion dicte le quotidien, au risque d’une déstabilisation du régime.

Un modèle pour d’autres petits États ou un cas unique ?

L’exemple qatari permet de s’interroger sur la possibilité d’évolution des petits États sur la scène internationale. Si une trajectoire aussi spectaculaire n’est pas impossible, l’émergence « express » de ce pays demeure unique. Elle s’explique par la vision stratégique de son leadership, des moyens financiers quasi illimités et des conjonctures régionale et internationale favorables. Le Qatar n’a pu acquérir son statut de puissance régionale que dans la mesure où ses intérêts se confondaient avec ceux d’autres puissances, au premier rang desquelles les États-Unis.

Ce statut de puissance régionale est-il pérenne ? Dans le cas du Qatar, la Coupe du Monde représente un enjeu majeur pour l’avenir. Celle-ci agira comme un catalyseur pour le développement d’une économie du sport et participera directement à la croissance et à la diversification.

Si elle se déroule avec succès, malgré l’ambiance délétère actuelle, les retombées attendues ne seront pas uniquement liées au tournoi, mais aussi aux investissements divers et à l’attraction d’entreprises innovantes, sans oublier la mise en valeur du tourisme local. Enfin, puisque l’émirat mise sur une amélioration continue de sa perception à l’étranger, sa capacité à organiser l’événement le plus attendu au monde constitue en soi un élément de puissance.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Politique relative aux Cookies
Politique de confidentialité

Written by Dorna Javan, Doctorante en science politique à IEP de Lyon, Université Lumière Lyon 2

Depuis un mois maintenant, les manifestations se poursuivent en Iran suite au décès de Mahsa Amini, 22 ans, battue à mort par la police des mœurs le 13 septembre.

Ces protestations, sévèrement réprimées par le régime, portaient initialement sur les droits des femmes. Mais, rapidement, d’autres revendications s’y sont ajoutées. Mieux le comprendre nécessite une approche intersectionnelle, car nous assistons à une convergence des luttes sociales derrière la cause des femmes : celle-ci va de pair avec l’apparition d’une nouvelle génération militante, de nouvelles revendications et de nouvelles formes d’action.

Un soulèvement au nom de la cause des femmes

Lors de la cérémonie de funérailles de Mahsa Amini, plusieurs femmes auraient ôté leur voile scandant le slogan « Jin Jiyan Azadi » (Femme Vie Liberté) afin de protester contre la loi imposant en toutes circonstances le port du hidjab. Très vite, ce slogan a été repris à travers le pays, notamment dans les universités de Téhéran, comme ElmoSanat, et de Tabriz. Ces manifestations ont suscité une réponse violente du régime.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Rappelons que l’obligation du hidjab en tant que question religieuse, politique et idéologique peut être considérée comme le symbole de la politique répressive et inégalitaire mise en œuvre en Iran dès le lendemain de la révolution de 1979 : les femmes font l’objet depuis plus de quarante ans de nombreuses mesures discriminatoires, qui les privent de nombre de leurs droits fondamentaux comme le droit de choisir leurs propres vêtements, le droit égal au divorce et à la garde des enfants, le droit de voyager à l’étranger, le droit d’être présentes dans certains espaces publics (tels les stades de football ou d’autres types de stades sportifs), le droit d’exercer certains métiers ou des postes clés comme président de la République, juge et plusieurs autres postes militaires et religieux.




Read more:
Les sportives iraniennes, miroir d’un pays en crise


C’est pourquoi des militantes féministes qualifient l’Iran actuel d’apartheid des genres et dénoncent la « ségrégation sexuelle systématique » qui y a cours.

Ces dénonciations ont été récurrentes – et toujours réprimées – tout au long des plus de quarante-trois ans d’existence de la République islamique. À partir de 2017, on assiste à l’émergence de nouvelles formes de protestation (des protestations individuelles), portées par de nouvelles générations d’activistes féministes, et même à la mobilisation de divers groupes marginalisés et des hommes pour la cause des femmes. Le 27 décembre 2017, Vida Movahed brandit un hidjab blanc, attaché au bout d’un bâton. Son geste a un grand impact en Iran et d’autres femmes suivent son exemple dans d’autres villes, jusqu’à aujourd’hui.

L’une des spécificités du mouvement actuel réside dans le fait qu’aux revendications féministes se mêlent aussi des exigences liées à une autre cause, d’ordre cette fois ethnique.

La cause ethnique

L’Iran est un pays pluriethnique dont l’ethnie dominante – c’est-à-dire les Perses, qui occupent plutôt le plateau central du pays – ne représente que 50 % de la population totale. Parmi les autres grands groupes ethnolinguistiques, citons les Turcs azerbaïdjanais (entre 20,6 et 24 %), les Kurdes (entre 7 et 10 %), les Arabes (entre 3 et 3,5 %), les Baloutches (entre 2 et 2,7 %), les Turkmènes (entre 0,6 et 2 %) et les Lors (entre 2 % et 8,8 %)…

Des tensions ethniques importantes existent en Iran au moins depuis le début du XXe siècle, quand a été mise en place une politique assimilationniste qui s’est notamment soldée par une répression violente des minorités ethniques des provinces iraniennes d’Azerbaïdjan, du Kurdistan, du Turkménistan, du Khouzistân et du Baloutchistan. Ces violences reprennent après la Seconde Guerre mondiale, avec l’écrasement de la République autonome d’Azerbaïdjan (juillet 1945 – décembre 1946) et de la république de Mahabad (janvier 1946–décembre 1946) au Kurdistan.

Après la révolution de 1979, ces tensions ont continué de se manifester, particulièrement dans la province iranienne d’Azerbaïdjan et au Khouzistân.

C’est dans ce contexte qu’interviennent les événements dont nous sommes aujourd’hui témoins. Après la médiatisation du décès de Mahsa Amini, qui était kurde, les partis d’opposition kurdes ont appelé les villes du Kurdistan iranien à se mettre en grève générale. Un appel qui a été suivi le 17 septembre par les commerçants et les habitants de Saqqez, ville natale de Mahsa Amini, où des centaines de personnes avaient assisté à ses funérailles, et dans certaines petites et grandes villes de la région.

La minorité azerbaïdjanaise d’Iran a rejoint le mouvement et soutenu les Kurdes avec le slogan « l’Azerbaïdjan s’est réveillé et soutient le Kurdistan ». Ce message de solidarité s’est propagé à d’autres régions et a mobilisé d’autres groupes ethnico-religieux comme les Arabes et les Baloutches.

Ce sont précisément les Baloutches qui ont payé le plus cher leur implication dans cette contestation. Le vendredi 30 septembre, une manifestation pacifique a été organisée par les minorités baloutches à Zahedan, ville de la province du Sistan-Baloutchistan dans le sud-est de l’Iran, en soutien aux Kurdes, mais aussi en protestation contre le viol d’une jeune fille baloutche de 15 ans par un chef de police dans la ville baloutche de Chabahar. La répression a été d’une immense violence : près de 100 personnes auraient trouvé la mort. Un massacre que le régime justifie par la lutte contre le séparatisme.

Nouvelles revendications, nouveaux acteurs

De nouveaux acteurs apparaissent à travers cette révolte, à commencer par une nouvelle génération de militantes féministes avec un nouveau répertoire d’actions et un nouveau discours, et également une nouvelle génération appelée la « génération Z », comme des jeunes lycéens ou collégiens.

À partir de la deuxième semaine, des étudiants et lycéens ont commencé à manifester dans les universités, les lycées et collèges en scandant des slogans. Ce qui a poussé les forces de sécurité à attaquer des lycées lors de la quatrième semaine de manifestations. Lors de l’intervention policière du 13 octobre contre le lycée Shahed dans la ville d’Ardebil, au nord du pays, une lycéenne nommée Esra Panahi a été tuée et plusieurs dizaines de lycéennes ont été blessées et certaines arrêtées, ce qui a déclenché des manifestations dans les villes d’Ardabil et de Tabriz. Plus de 1 700 personnes ont été arrêtées à Tabriz, selon Sina Yousefi, un avocat qui a été lui-même été arrêté par le gouvernement suite à la diffusion de cette information.

De nombreuses femmes écrivains ont également annoncé qu’elles ne publieraient plus de livres sous la tutelle et l’audit du ministère de la Culture et de l’orientation islamique, chargé d’autoriser ou non les productions culturelles. Dans une vidéo mise en ligne le 4 octobre, Mahdieh Ahani, la directrice du magazine Ban, publié à Tabriz, se filmant tête nue, a brûlé son permis de travail devant la caméra tout en dénonçant l’obligation du hidjab et les mesures répressives envers les femmes, la censure et la liberté d’expression. De même, Atekeh Radjabi,une institutrice à Ahmadabad, s’est elle aussi filmée tête nue en déclarant faire la grève.

Les étudiants ont également appelé à la grève dans de nombreuses universités chantant « les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation », « Mort à l’oppresseur, qu’il soit roi ou mollah » et « Femme, vie, liberté ». Ils remettent en question d’une manière radicale non seulement les politiques et les lois imposées par le régime, mais aussi les normes et les valeurs culturelles, traditionnelles et religieuses instaurées dans la société iranienne.

Leur contestation ne porte plus seulement sur l’obligation du port du voile : ils vont jusqu’à s’en prendre au régime de la République islamique en tant que tel, et ciblent le guide suprême Ali Khamenei, dont plusieurs photos accrochées dans les espaces publics ou dans les salles de cours, ont été brûlées et déchirées.

Solidarités internationales et situation révolutionnaire

Ces colères, largement diffusées à travers les réseaux sociaux, ont rapidement suscité des messages de solidarité adressés par de nombreuses femmes notamment en Turquie, au Liban, en Syrie et dans divers pays occidentaux, y compris en France.

L’ampleur de la mobilisation est telle qu’il est possible de parler de situation révolutionnaire. Pour la première fois, la cause des femmes n’est pas minimisée au profit des autres luttes et revendications, mais se trouve au cœur de cette insurrection, et s’articule aux luttes des minorités nationales, des groupes marginalisés, des classes moyennes et populaires exaspérées par la situation politique et économique, ainsi qu’aux luttes environnementales. C’est ainsi qu’elle conduit à un soulèvement exceptionnel à travers tout le pays, qui semble parti pour durer.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Written by Homa Hoodfar, Professor of Anthropology, Emerita, Concordia University

Le monde a les yeux rivés sur les images d’Iraniennes scandant le slogan « femmes, vie, liberté », organisant des manifestations, dansant dans les rues et brûlant leur foulard devant des soldats armés.

Ce courage rappelle leur participation massive aux manifestations qui ont suivi le résultat contesté de l’élection présidentielle de 2009, où la jeune Neda Agha-Soltan avait été tuée par balle, victime de la brutalité du régime iranien.

Des gens portent des affiches d’une jeune femme
Dans cette photo prise lors d’une manifestation à Paris en 2009, la foule brandit des photos de l’Iranienne Neda Agha-Soltan.
AP Photo/Jacques Brinon, File)

Le mouvement de contestation qui soulève actuellement le pays a été déclenché par la mort de Mahsa Amini, la jeune Kurde iranienne qui a succombé à ses blessures après son arrestation pour avoir, selon la police, enfreint les lois conservatrices de l’Iran sur le port du hijab.

La révolte populaire se poursuit malgré une intensification de la répression policière partout au pays qui a fait plus de 200 morts et des centaines de blessés, et a entraîné des milliers d’arrestations.




Read more:
Le régime iranien est un apartheid des genres. Il faut le dénoncer comme tel


Une vague de colère

Dans un geste sans précédent, des Iraniennes de tous les âges expriment leur soutien envers les manifestations en coupant leurs cheveux, symbole préislamique de deuil chez les femmes.

Cette fois, c’est la mort en détention de la jeune Amini qui a déclenché les manifestations. Mais les revendications des citoyens contre l’oppression politique, les difficultés économiques, les catastrophes écologiques, la discrimination envers les minorités ethniques et religieuses, les institutions étatiques corrompues et non représentatives, ainsi que le mépris pour la vie et la dignité des citoyens ont soulevé de nombreuses révoltes populaires au cours des dernières décennies.

La République islamique continue de faire la sourde oreille face aux manifestations, affirmant que la mort de Mahsa Amini est le résultat d’une maladie. De la même façon, l’État avait tenté de camoufler ses gestes après avoir abattu un avion de ligne ukrainien en janvier 2020. Ces démentis laissent un goût amer aux Iraniens, désillusionnés par le régime théocratique.

Ce nouveau mouvement de contestation, ayant à sa tête des femmes, appelle à la dignité, à un vrai changement et au respect des droits fondamentaux. Dans le passé, les Iraniennes ont toujours pris part aux manifestations, mais c’est la première fois que leurs revendications sont considérées comme celles de toute la nation.

Une voiture jaune apparit dans un nuage de gaz
Dans cette photo prise le 1ᵉʳ octobre 2022, les forces de l’ordre utilisent du gaz lacrymogène pour disperser les manifestants devant l’Université de Téhéran.
(AP Photo)

Les femmes revendiquent le changement – encore

De nombreuses femmes sont descendues dans la rue pour participer au renversement de la dynastie Pahlavi en 1979 et pour revendiquer la démocratie et la liberté d’expression sans discrimination fondée sur le sexe.

Cependant, quelques semaines à peine après la révolution, le clergé dirigeant conservateur accède au pouvoir, piétinant les modestes avancées accordées aux femmes sous l’ancien régime.

Malgré leurs protestations, les Iraniennes ne reçoivent qu’un très faible appui de la part des hommes et des groupes politiques rivaux, qui donnent la priorité à la position anticolonialiste du régime au détriment de la justice envers les femmes, temporairement disent-ils.

Découragées par l’indifférence des hommes, les Iraniennes organisent en mars 1979 l’une des toutes premières manifestations contre la théocratie. Le port obligatoire du voile décrété par le régime islamiste comme symbole de son identité demeure un point de litige entre le gouvernement et la société civile.

Extrait des manifestations de 1979 sur les droits de la femme en Iran sur ITN.

Reconnaissant que l’extrémisme religieux met souvent l’accent sur le corps des femmes – comme le font d’ailleurs certains pays modernes – les Iraniennes continuent, autant dans la sphère privée que publique, à remettre en question la négation de leurs droits légaux et sociaux.

À plusieurs reprises, comme nos recherches l’ont montré, les femmes de toute appartenance idéologique ont uni leurs forces pour faire valoir leurs revendications.

Par exemple, des femmes prônant la laïcité et d’autres vivant selon des valeurs religieuses unissent leurs voix pour réformer certaines lois discriminatoires à l’égard des femmes concernant la famille dans les années 1990 et au début des années 2000. En outre, c’est la création d’un bloc pour le vote des femmes qui permet au candidat réformateur du clergé Mohammad Khatami d’assumer la présidence de 1997 à 2005, ce qui mène à de nombreux changements législatifs et à de nouvelles occasions politiques.

Ce mouvement de réforme met l’accent sur une nouvelle idéologie religieuse, y compris une réinterprétation des textes sacrés axée sur la femme, aussi appelée féminisme islamique.

Les conservateurs nerveux

Toutefois, ces progrès menacent l’élite ultraconservatrice qui, sous le régime du nouveau président Mahmoud Ahmadinejad, commence à imposer des restrictions sur la presse féminine et de nombreuses organisations non gouvernementales de femmes.

Les tenants de la ligne dure intimident également les militants pour les droits des femmes et les groupes d’étudiants universitaires progressistes. Pour plaire à l’élite conservatrice, le président Ahmadinejad renforce l’appareil répressif de l’état, créant notamment une force policière chargée de faire appliquer les lois très strictes sur le port du hijab, une décision applaudie par les conservateurs.

En 2009, les espoirs des femmes sont ravivés lorsque les principaux candidats réformateurs à l’élection présidentielle, dans un effort pour gagner des votes, placent les préoccupations des femmes au cœur de leur campagne électorale. Malheureusement, à leur grande consternation, c’est le président Ahmadinejad qui remporte l’élection, ce qui déclenche une vague de manifestations où les femmes jouent un rôle de premier plan.

Les soulèvements liés au mouvement vert permettent de rendre publiques les principales revendications de la population générale, y compris les droits civils et politiques de base, comme le droit à des élections justes, la liberté d’expression et la démocratie. Mais la puissante élite conservatrice non élue déchaîne les forces de l’ordre afin de réprimer brutalement les manifestations de 2009, forçant le mouvement féministe à battre en retrait.

La candidature du religieux modéré Hassan Rohani à l’élection présidentielle de 2013 incite les femmes à retourner aux urnes, menant à une victoire écrasante.

Un contrôle total

Aux élections suivantes, les conservateurs écartent leurs principaux rivaux pour reprendre le contrôle du parlement et de la présidence en 2021, malgré une participation électorale au plus bas depuis 1979.

Maintenant en plein contrôle de l’État, le régime conservateur met en œuvre de nombreuses restrictions, exhortant les forces de l’ordre à multiplier la surveillance et les interventions à l’égard des personnes remettant en question le statu quo, y compris les femmes s’opposant au port obligatoire du voile.

Les manifestations déclenchées en septembre 2022 se poursuivent, et les violences répressives du Régime se multiplient. Malgré la censure de l’Internet, les Iraniens, indépendamment de leur sexe, de leur ethnie, de leur classe sociale, de leur âge ou de leur idéologie, semblent s’exprimer d’une même voix en organisant des manifestations aux quatre coins du pays pour dénoncer leur mécontentement face au régime théocratique.

On ne sait pas encore si ce mouvement mènera à une révolution politique. Plusieurs sont d’avis que la révolution a déjà eu lieu, étant donné l’appui grandissant du public envers les demandes formulées par les femmes et les minorités dans ces manifestations pour une véritable démocratie et le respect des droits de la personne.

La question est maintenant de savoir si cette solidarité durera, et si le régime iranien sera enfin disposé à faire preuve d’ouverture.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Connexion

mot de passe oublié?

Vous n'avez pas de compte ? S'inscrire

mot de passe oublié?

Entrez les données de votre compte et nous vous enverrons un lien pour réinitialiser votre mot de passe.

Votre lien de réinitialisation de mot de passe semble invalide ou expiré.

Connexion

Politique de confidentialité

Ajouter à la collection

Aucune collecte

Vous trouverez ici toutes les collections que vous avez créées auparavant.