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À quelles conditions les sanctions internationales sont-elles efficaces ?

Written by Sophie Marineau, Doctorante en histoire des relations internationales / phD candidate History, International relations, Université catholique de Louvain (UCLouvain)

Les sanctions sont un outil de pression diplomatique largement utilisé, spécialement par les pays occidentaux.

À titre d’exemples, rappelons que selon les données du gouvernement américain, 32 régimes de sanctions sont actuellement en vigueur. Le Canada, quant à lui, impose actuellement des sanctions à 20 différents États et à des groupes terroristes comme Al-Qaïda. L’UE met aujourd’hui à l’œuvre des sanctions visant une trentaine de pays et d’acteurs internationaux. Quant à l’ONU, depuis 1966, le Conseil a mis en place 30 régimes de sanctions, de l’Afrique du Sud de l’apartheid à la Libye de Kadhafi (et d’après lui) en passant par l’Irak de Saddam Hussein ou encore la République islamique d’Iran.

L’imposition de sanctions est un instrument politique relativement peu coûteux si on le compare à un conflit armé, et qui plaît davantage à l’opinion publique. Mais lors de la promulgation d’un régime de sanctions, il est impossible de définir le niveau exact des mesures à prendre pour que celles-ci aient une incidence sur la politique de l’État sanctionné.

Afin de déterminer l’efficacité d’un régime de sanctions, nous examinerons neuf facteurs qui nous semblent déterminants : le coût économique pour l’État sanctionné ; la nature de son régime politique ; sa stabilité politique et économique ; le lien entre l’État sanctionneur et l’État sanctionné ; le type d’objectif ; la cohésion internationale ; le phénomène du rally around the flag ; la réputation et l’image de l’État sanctionné ; et le temps.

1. Le coût économique

Ce facteur est considéré comme le plus déterminant par l’étude de référence signée de Gary Haufbauer et de ses collègues. Les 70 cas dont les auteurs jugent qu’ils fournissent des exemples de sanctions ayant atteint leur but avaient imposé des coûts considérables à l’État paria. Plus le coût imposé à un État est élevé, plus l’État sera porté à modifier sa ligne politique.

2. Le type de régime

Les sanctions sont nettement plus efficaces lorsqu’elles sont employées contre une démocratie que contre une autocratie. Le dirigeant d’un État démocratique sera, en effet, beaucoup plus enclin à chercher une solution sans utiliser la violence. Pour ses citoyens et pour sa propre position à la tête du gouvernement, le dirigeant ne laissera pas la situation économique de son pays se détériorer longtemps. En 1948-1949, les États-Unis ont ainsi imposé des sanctions aux Pays-Bas afin que ceux-ci reconnaissent l’indépendance de l’Indonésie. Ces sanctions ont été levées en 1949 une fois l’objectif atteint.

À l’inverse, un dirigeant autocratique n’a généralement aucune crainte quant à sa position au sein de l’État, et peut ainsi poursuivre ses propres politiques sans trop se soucier du mécontentement que les sanctions peuvent susciter au sein de l’opinion publique ou de la société civile. Sa survie dépend davantage de sa capacité à satisfaire son entourage ou ses seuls partisans. Un autocrate sera ainsi beaucoup moins susceptible de tenter de trouver une solution politique dans un objectif de paix. Suivant cette logique, Haufbauer et ses collègues expliquent ainsi qu’il est difficile d’intimider un intimidateur. L’Union européenne a d’ailleurs imposé des sanctions au Myanmar pendant plus de 20 ans sans obtenir de résultats concluants jusqu’à la levée complète des mesures en 2013.

3. La stabilité économique et politique

Si un régime est plutôt faible, si le pays se trouve au bord de la guerre civile (Venezuela 2017) – ou en guerre civile –, si la population est affamée, ou si le régime est confronté à une opposition importante et grandissante, les sanctions ont beaucoup plus de chances d’être efficaces.

Un État souffrant de problèmes économiques sera plus vulnérable à l’application d’un régime de sanctions. Même un autocrate peu soucieux du bien-être de sa population aura de la difficulté à gérer un État au bord du chaos.

4. Le lien entre l’État sanctionneur et l’État sanctionné

Pour que les sanctions soient efficaces, la relation économique entre l’État sanctionneur et l’État sanctionné doit être importante et développée. Si les échanges commerciaux sont importants, l’État sous sanctions perdra une source de revenus plus importante que si les échanges sont limités. Pour être optimales, les sanctions doivent toucher des secteurs primordiaux dont les biens importés seront difficilement remplaçables par d’autres États.

Un manifestant pro-gouvernemental brandit une pancarte exigeant de Donald Trump qu’il mette fin au blocus du Venezuela, à Caracas le 7 août 2019. La veille, Donald Trump a ordonné le gel de tous les avoirs du gouvernement vénézuélien aux États-Unis et a interdit les transactions avec ses autorités.
Federico Parra/AFP

5. Le type d’objectif

Les sanctions ont aussi beaucoup plus de chances de réussite lorsque les objectifs sont modestes. Le politologue et économiste David Baldwin a montré qu’une approche consistant à imposer à l’État sanctionné un ensemble de contrariétés, même mineures (augmentation de ses coûts de production ou d’importation, atteinte à sa réputation internationale…), pouvait finir par donner davantage de résultats que, par exemple, l’exigence affirmée d’entrée de jeu d’un changement de régime.

6. La cohésion internationale

Les effets des régimes de sanctions peuvent être limités par plusieurs facteurs. Notons d’abord que toutes sanctions économiques doivent être accompagnées d’un effort diplomatique important. James Mayall explique ainsi que les sanctions doivent être appliquées par la majorité des partenaires économiques de l’État sanctionné pour maximiser leurs chances de réussite. Lorsqu’il y a un manque de cohésion à l’international, l’État sous sanctions peut trouver des fournisseurs alternatifs à celui qui impose les sanctions.

L’engagement d’une ou de plusieurs organisations internationales lors de l’imposition d’un régime de sanctions aide à conserver cette cohésion au sein des différents alliés et partenaires.

Un régime de sanctions demeure toutefois vulnérable aux chevaliers noirs. Ces États attirés par les profits potentiels minent l’effort général de cohésion. Ils peuvent être des partenaires avares ou des États qui placent leurs profits personnels au-dessus de considérations telles que la sécurité internationale ou le respect du droit international. Plusieurs fois, lors de la guerre froide, des régimes de sanctions ont été sapés par l’URSS ou par les États-Unis qui appuyaient leurs alliés contre les sanctions de l’ennemi. L’URSS a ainsi remplacé les produits américains mis sous embargo à Cuba dans les années 1960. Les États-Unis ont fait de même lors de l’application de sanctions par l’URSS contre la Yougoslavie en 1948, limitant dans les deux cas l’effet désiré initialement. Et les sanctions imposées par les États-Unis contre l’URSS lors de l’invasion de l’Afghanistan au mois de décembre 1979 ont souffert de ce manque de cohésion : les effets ont été limités car les Soviétiques ont pu trouver des fournisseurs attirés par les profits substantiels de ces échanges.

7. Le phénomène du rally around the flag

Les sanctions peuvent également avoir un effet non désirable sur la société civile de l’État ciblé ; il s’agit du phénomène du rally around the flag. Dans certains cas, si la société civile juge que son pays ne devrait pas être placé sous sanctions, on peut assister au renforcement de la cohésion nationale autour du pouvoir.

Ce phénomène peut également s’opérer dans un tout autre ordre d’idées : si un peuple est trop dépendant de ses dirigeants pour son approvisionnement en nourriture et en biens de première nécessité, la société civile peut se rallier derrière ses dirigeants, car, comme l’explique Andrei Kolesnikov, professeur de droit à l’université de Moscou, « Les gens préfèrent soutenir la main qui les nourrit car si elle venait à disparaître, ils pourraient ne plus être nourris du tout. »

C’est d’ailleurs ce qui s’est produit avec la société civile russe en 2014 après l’annexion de la Crimée et les sanctions occidentales qui se sont ensuivies.

8. L’importance accordée à la réputation, à l’image

Dans certaines situations, l’État sanctionné estime que le coût des sanctions n’est pas suffisamment élevé pour justifier un changement de ses politiques. Un État peut choisir cette position lorsqu’il veut par exemple préserver sa réputation de dur : il préfère endurer les sanctions et conserver sa réputation, plutôt que de sécuriser son économie et de voir sa réputation se dégrader. Cuba résiste ainsi aux sanctions américaines depuis 1990, même si son économie a été durement touchée, tout comme la Russie résiste aux sanctions de l’Union européenne depuis 2014.

9. Le temps

Le temps est également une variable non négligeable. Haufbauer et al. concluent qu’en moyenne les sanctions demeurent en place pendant 16 ans. Parfois, l’État sanctionné finit par se conformer aux exigences des sanctionneurs ; mais il arrive aussi que les sanctions finissent par être levées faute de résultats convaincants.

Les sanctions forcent souvent les États sanctionnés à se replier sur eux-mêmes, et à développer leurs propres industries pour s’autosuffire (la Russie s’enorgueillit notamment de sa politique de « substitution des importations » depuis 2014). À long terme, ce phénomène a pour conséquence de rendre l’État sanctionné plus apte à vivre en autarcie et moins dépendant des importations et des biens d’autres États. Si un État réussit à s’autosuffire, les effets des sanctions deviennent extrêmement limités ; il est dès lors presque impossible que les mesures influencent son comportement ou ses politiques.

Les étudiants de l’Université de La Havane dans la capitale cubaine le 26 octobre 2016 célèbrent l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies d’une résolution appelant à la fin de l’embargo américain contre Cuba après que les États-Unis se soient abstenus pour la première fois.
Adalberto Roque/AFP

Comme le souligne Elizabeth S. Rogers, les sanctions sont souvent plus efficaces pour contenir un conflit que pour le prévenir ou l’arrêter. Certaines sanctions sont également tout simplement insuffisantes pour provoquer des changements politiques majeurs.

En résumé, un régime de sanctions a des chances de réussite limitées si l’État visé est fort, stable politiquement et économiquement, hostile et autocratique.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

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