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L’opposition turque peut-elle s’unir et faire obstacle à Erdoğan ?

Written by Ahmet Erdi Öztürk, Research Asistant, Université de Strasbourg

Initialement prévues pour fin 2019, des « élections présidentielles et parlementaires anticipées » défendues par Devlet Bahçeli, partenaire politique de Recep Tayyip Erdoğan et chef de file du Parti d’action nationaliste (MHP), se tiennent en Turquie ce 24 juin 2018.

Ces élections sont nécessaires au président sortant pour se maintenir au pouvoir. Pourtant le parti du président, l’AKP pourrait être mis en danger: en effet ses opposants ont formé une coalition et ont désigné le professeur de physique Muharrem Ince en mai comme candidat du Parti républicain du peuple (CHP, laïque). Et tandis que les Turcs vont aux urnes ce dimanche, des milliers de volontaires se sont mobilisés dans les bureaux de votes pour surveiller le processus électoral et empêcher que le président de «voler» les élections.

L’AKP fragilisé

Erdoğan doit faire face à plusieurs problèmes qui ont récemment affaibli son parti, tant sur le plan national qu’international. L’intervention militaire en Syrie est une impasse sans espoir de retrait ni de victoire à l’horizon tandis que l’économie, qui constituait jusque-là une carte maîtresse de l’AKP, a plongé de manière inattendue. De même, l’effondrement dramatique de la lire turque a réduit le pouvoir d’achat de la population.

Enfin, la crédibilité en berne du système judiciaire est source d’inquiétude jusque dans les rangs des partisans du président. Selon un sondage récent, 97 % des Turcs ne font plus confiance à la Justice.

Des conditions tout sauf idéales

Pour la première fois depuis l’arrivée d’Erdoğan au pouvoir il y a 16 ans, ces élections sont susceptibles de modifier la donne. Toutefois, le contexte d’état d’urgence dans lequel elles se déroulent laisse craindre que les conditions ne soient pas réunies pour assurer un scrutin libre et impartial.

La Turquie a récemment été rétrogradée au rang de pays « non libre » selon plusieurs indices internationaux, dont celui de Freedom House. Les campagnes menées par l’opposition sont décapitées à mesure que le gouvernement étend sa mainmise sur les médias, plaçant ainsi le pays à la 157ᵉ place (sur 180) en matière de liberté de la presse.

Et, ce, jusqu’en France comme en témoignent les récentes attaques de militants pro-Erdoğan à l’encontre de kiosquiers. Plusieurs d’entre eux – ainsi qu’un agent JCDecaux – ont été sommés de retirer de leur vitrine l’affiche de la une de l’hebdomadaire Le Point qui qualifiait le président turc de dictateur.

L’opposition unie

Usant de son charisme et de toutes les ressources gouvernementales dont il dispose, Erdoğan a muselé ses opposants et s’est habitué, depuis 16 ans, à être le seul véritable candidat. La convocation d’élections anticipées semble toutefois avoir donné un second souffle aux partis d’opposition qui vont présenter des candidats face à lui.

Le transfert inattendu de 15 députés du Parti républicain du peuple (CHP) vers le Bon Parti (Parti Iyi) a modifié les rapports de force, dans la mesure où ces deux partis peuvent se mesurer à l’AKP d’Erdoğan s’ils font front commun avec le Parti démocratique populaire (HDP), pro-kurde et de gauche.

Le Bon Parti centriste, conduit par une figure politique reconnue, Meral Aksener, est donc bien placé pour se lancer dans la bataille et réduire les chances de l’AKP d’obtenir une majorité écrasante au Parlement.

Cette femme peut-elle prendre la tête de la Turquie ? Meral Akşener prononce le discours inaugural de son parti, le 25 octobre 2017.
Yıldız Yazıcıoğlu//Wikimedia, CC BY-ND

Une « dame de fer » pour Ankara ?

Meral Akşener, qui a été ministre de l’Intérieur au milieu des années 1990, une période difficile en Turquie, semble prête à affronter Erdoğan. Forte de son passé nationaliste et d’une attitude modérée, elle s’est imposée comme un choix pragmatique et s’est attelée à combler le vide créé par le président au centre de l’échiquier politique.

Son discours consensuel s’adresse aussi bien aux nationalistes laïques que pro-islamiques, aux conservateurs modérés, aux sociaux-démocrates ainsi qu’à certains Kurdes. Pour un grand nombre de Turcs, elle possède la détermination qui faisait défaut à Abdullah Gül, ex-président et camarade de longue date d’Erdoğan (Gül, qui a retiré sa candidature, aurait subi des pressions de la part du chef d’état-major général).

Un guerrier venu du CHP ?

Leader du principal parti d’opposition, le CHP, Kemal Kiliçdaroğlu a désigné Muharrem İnce, un député qui n’a pas la langue dans sa poche, pour affronter le président sortant.

Muharrem İnce, député et candidat aux élections présidentielles du Parti républicain du peuple (CHP).
Yildiz Yazicioğlu/VOA, CC BY-SA

Tout aussi déterminé et combatif que Meral Akşener, Muharrem İnce séduit également les électeurs laïques. Cependant, son nationalisme laïc trop marqué risque de lui faire perdre les voix des Kurdes et des conservateurs, bien qu’il ait la capacité d’enflammer les foules.

Muharrem İnce doit s’appuyer sur une stratégie en deux étapes : il lui faut d’abord remporter la majorité des votes de l’opposition pour accéder au second tour, puis se montrer suffisamment souple et rassembleur pour coaliser l’opposition contre Erdoğan. Il devra, pour ce faire, convaincre les Kurdes et les conservateurs modérés, privés de leurs droits par les récentes mesures d’Erdoğan.

Un candidat derrière les barreaux

Le nationalisme galopant d’Erdoğan a eu pour conséquence d’éloigner les Kurdes du gouvernement, alors qu’ils représentent plus de 10 % des électeurs. En l’absence d’une victoire nette dès le premier tour, leur vote sera déterminant pour désigner le vainqueur au second tour.

Le 25 mai 2018, le HDP a demandé à la Cour constitutionnelle de libérer Selahattin Demirtaş, estimant qu’il est éligible et qu’il jouit encore de ses droits politiques et civiques.
Wikimedia, CC BY-ND

Selahattin Demirtaş, le leader emprisonné du parti pro-kurde de gauche HDP, est également candidat.

Bien que ses chances d’être présent au second tour soient quasiment inexistantes, Demirtaş et son parti seront incontournables. Si le HDP ne dépasse pas le seuil des 10 %, l’AKP d’Erdoğan obtiendra sans doute une majorité écrasante au parlement, ce qui confortera sa position dominante.

Un combat serré

Lors du premier tour, les militants votant pour le candidat de leur parti, il est peu probable qu’un d’eux atteigne la majorité simple (50 % plus une voix) requis pour être élu, à moins que l’on assiste d’ici là à un nouveau découpage de la carte électorale.

Les deux principaux candidats d’opposition, Muharrem İnce et Meral Akşener, ont publiquement déclaré qu’ils appelleraient à voter pour celui des deux qui aura obtenu le plus de suffrages. S’ils respectent ce consensus et continuent à mener une campagne rigoureuse et stratégique, les partis d’opposition sont à même de s’unir au sein d’une coalition anti-Erdoğan au second tour. Ils devront aborder un large éventail de questions, allant de l’exploitation de la religion à la coexistence de différents groupes et individus, et proposer des solutions pacifiques aux problèmes régionaux.

Un discours convaincant sur la crise économique, la polarisation sociale et l’isolement international pourrait de fait constituer le socle de la victoire pour le futur président.

C’est en tenant un discours ferme, mais ouvert et modéré, en se montrant rationnel, pragmatique et charismatique que le candidat de l’opposition pourra rassembler la minorité sectaire des Alevis, la minorité ethnique des Kurdes, les nationalistes turcs, les sociaux-démocrates et les conservateurs modérés.

En tout état de cause, si l’opposition échoue et qu’Erdoğan gagne une nouvelle fois les élections, la perspective d’une démocratie libérale en Turquie sera renvoyée aux calendes grecques.


Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour Fast for Word.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

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